Blancs contre Rouges

« La neige tombe sur le quartier Saint-Paul et nous avons tous vingt ans: ce garçon que je ne connais pas, et moi, et la foule des autres qui courent autour de nous avec des cris de guerre (une petite guerre, puisque nous sommes en 1969 et que la jeunesse joue à se détester: blancs contre rouges). Lui et moi sommes des « blancs », la foule qui court est « rouge », nous étions venus vérifier l’un des bastions « rouges » et bien sûr les choses ont viré au désastre, on nous attendais à cent contre dix: et maintenant nous courons, lui et moi, isolés, enveloppés par l’adversaire qui brandit un drapeau rouge sous les flocons de neige (c’est beau comme l’Eisenstein). Les deux « blancs » s’esquivent au hasard d’une ruelle, s’adossent haletants à une porte - qui cède et s’ouvre; à reculons, ils entrent dans la pénombre. Les voilà parmi les fauteuils Louis XV. Ils sont chez un antiquaire. L’homme surgit de son arrière-boutique, écoute les clameurs qui s’éloignent; et, d’une voix musicale, nous propose une tasse de thé.
Mon compagnons de déroute me dit: - Je suis Arnould de Liedekerke.

Trois mois plus tard, les journaux rapportent comment « un jeune homme portant une fleur de lis » vient de mettre K.O. - d’un direct au menton - le directeur du centre Assas, devant mille étudiants, dans le hall de la faculté. La presse ne s’en choque pas (c’est dans l’air du temps). D’ailleurs le combat est régulier, et le vaincu robuste: il s’en remettra vite et sa carrière d’économiste le portera jusqu’à la notoriété la plus édifiante. Quant au vainqueur, il s’agit d’Arnould, qui a le triomphe modeste.»

- Patrice de Plunkett, in Vies d’Arnould de Liedekerke, hommage collectif -