Pham Quynh, lecteur de Maurras
Pham Quynh, né en 1892 et fusillé par les communistes en 1945 est un auteur viêtnamien d'expression française.
Jeune, il a cherché la vérité dans les directions les plus variées. Il s'est fait initier à la franc-maçonnerie dans une loge de Hanoï. Il a connu et beaucoup apprécié les lettres françaises. Il a lu Auguste Comte, Barrès, dont la célèbre formule, "la terre et les morts" l'a beaucoup frappé. Puis, il a connu les livres et les articles de Maurras.
Durant des années, il a reçu le Temps et l'Action Française par le même courrier. Entre les deux guerres, il a écrit: "un nationalisme annamite, sage et raisonnable est parfaitement conciliable avec un protectorat français large et libéral". Il est partisan d'une "quasi-indépendance politique de son pays, ayant pour contrepartie une étroite interdépendance économique" - le terme figure dans un de ses articles. En 1932, il devient directeur du cabinet de l'empereur Bao-Dai, puis ministre de l'Education nationale, et enfin, en 1941, ministre de l'Intérieur. Au cours d'un voyage en France, il a affirmé son admiration pour l'oeuvre de Maurras. Mais, en Indochine, il doit se montrer prudent. Parmi les hauts fonctionnaires du protectorat, nombreux sont les radicaux-socialistes, mis en place par Albert Sarrault.
C'est seulement lorsque l'amiral Decoux devient gouverneur général, en 1940, que Pham Quynh révèle la conformité de ses vues, sur bien des points avec celles de Maurras.
Maurras, un confucéen égaré dans l'Occident du XXe siècle?
Homme discret, réservé, il n'a laissé que quelques textes qui permettent de dire avec certitude ce qu'étaient les convictions politiques de son âge mûr. Pham Quynh n'est pas un converti à la doctrine maurrassienne. Il est confucéen, s'affirme comme tel, et constate, à la suite de ses lectures, que Charles Maurras est peut-être, comme on l'a dit, un Athénien égaré au XXe siècle, mais qu'il est surtout "un confucéen qui s'ignore". Il affirme que l'idéal politique du maître de l'Action française est le même que celui des lettrés de l'ancien Annam.
Maurras a sacrifié de légitimes ambitions littéraires pour se consacrer à la défense des valeurs d'ordre national et social qu'il estimait menacées. Il a ainsi rejoint la tradition des grands lettrés viêtnamiens. Autre trait commun avec eux: l'attitude positiviste. Pour les confucéens, le penseur n'est pas le philosophe transcendant. C'est l'homme qui pense en vue de connaître, mais pour agir. Etre confucéen, c'est, avant tout, travailler à dégager des principes ou une méthode de gouvernement. La vérité transcendante, absolue, est du domaine de la foi ou de la méthaphysique. Les confucéens respectent croyants et métaphysiciens. Mais ils se tiennent à quelque distance de la religion et de la métaphysique. Pham Quynh juge donc confucéenne l'attitude positiviste de Maurras. Il note également la priorité donnée par celui-ci à la raison sur les puissances du sentiment. Il condamne les méfaits du "coeur vagabond". Aux yeux d'un confucéen, la pire faiblesse, pour un homme, est constituée par l'amour. Et Pham Quynh de lire à ses auditeurs français et asiatiques un texte de Maurras, peu connu:
"L'amour a trop de violence et de rapidité. Il surprend, saisit et foudroie, on le veut goûter qu'il n'est plus. C'est un enfant, c'est un sauvage. Il est aveugle et cependant perfide. Les malheureux qui s'y confient ne peuvent réfléchir à quel point il manque d'esprit, si ce n'est pour faire souffrir: là, il triomphe. Il vit un jour, et en ce jour il détruit tout ce qu'il rencontre de stable, de solide, de formé par un long effort; le reste de la vie entière ne répare point les dommages qu'il fait en une fois. L'amour est un flambeau qui s'éteint quand il a brûlé tout le bon de notre nature. Il nous appelle hors de nous, et nous tient pendus près des astres, pendant que notre maison croule, ou que notre champ dépérît. Il trouble les familles, séparant l'époux de l'épouse, armant le fils contre le père; il excite, dans les Etats, la sédition et la querelle. Pourtant, il n'est en aucune façon, nécessaire aux hommes. Quiconque fut heureux est mort avant de le connaître..."
Primauté des devoirs sur les sentiments, de la société sur l'individu
Page qui semble à l'occidental étonnante et dure. Mais page très susceptible de faire apprécier ce point de vue de Maurras à des auditeurs ou à des lecteurs de formation confucéenne. En particulier parceque le Viêt-nam est un pays où les structures familiales traditionnelles sont demeurées très fortes; où ce sont les parents qui organisent les mariages.
Ce texte et d'autres conduisent Pham Quynh à relever un autre trait commun à Maurras et aux lettrés confucéens: le refus de l'individualisme, désagrégateur de toutes choses.
Selon les maîtres confucéens, l'individu n'est rien par lui-même. Il ne devient un élément important que s'il est intégré dans un système qui le dépasse et dont il dépend: la famille, la commune, la province, la patrie. L'amour pour eux ne saurait être le ciment des solides assises de la famille et de la société. Ce ciment, il ne saurait être que le sens du devoir. L'homme a des devoirs à l'égard des autres hommes qui constituent avec lui ces groupements ou ces organismes en dehors desquels il n'y a pour lui de vie ou de développement possible. C'est l'ensemble, c'est le faisceau de ces devoirs réciproques qui forme le trafic de la vie sociale. Constatant l'accord de la pensée anti-individualiste de Maurras avec celle des confucéens, Pham Quynh place le maître de Martigues au rang des plus profonds moralistes. En outre, la politique étant considérée par les confucéens comme une partie de la morale, il relève deux autres analogies entre leur pensée et celle de Maurras. Tout d'abord l'amour de l'ordre, l'aversion à l'égard de tout ce qui provoque ou entretient le désordre dans les esprits, les sentiments, les moeurs, le gouvernement de l'Etat. Enfin, l'importance du passé - tradition et culte des morts chez les confucéens - histoire chez Maurras. Quynh note que l'esthétique confucéenne n'est pas une construction abstraite de l'esprit, mais tire son origine des données permanentes de la vie et du caractère humain, fournies par l'étude du passé, et qu'il en est de même du système maurrassien. Pour les confucéens, les données essentielles de la vie sociale sont constituées par la piété filiale et par la fidélité aux autorités. Ils n'affirment pas que leur fondement est la volonté de Dieu (ce mode de pensée leur est complétement étranger) mais l'expérience accumulée par des centaines de générations humaines... Ils affirment ainsi qu'il vaut mieux rechercher la sagesse dans la tradition, dans l'histoire, que dans des spéculations concernant un avenir inconnaissable. Voilà qui ne manque pas de ressemblance avec l'empirisme organisateur.
Pham Quynh, confucianiste ou monarchiste?
Il y aurait, cela va de soi, quelques réserves à formuler. La première, c'est qu'il existe une différence d'une importance capitale entre Maurras et les confucéens. Pour ceux-ci, la politique ne se sépare pas de la morale, alors que pour Maurras, elles se situent sur deux plans différents. D'autre part, le confucianisme postule la bonté fondamentale de l'homme. Il est un optimisme naturaliste, fort éloigné des conceptions réalistes de Maurras. Enfin, le confucianisme de Pham Quynh est-il bien le confucianisme authentique? Ne relèverait-il pas d'une interprétation particulièrement rigoureuse, celle de certains lettrés de l'ancien Annam, celle de Tchou-hi, que d'aucuns estiment hérétique?
Enfin, autre réserve, ou du moins autre question: dans quelle mesure Pham Quynh était-il monarchiste? On ne connaît qu'un seul article de lui où la référence à la monarchie dépasse la simple politesse. Il n'est pas interdit de penser qu'il souhaitait peut-être réduire Bao Dai au rôle de symbole de l'unité nationale. Car fort nombreuses apparaissent, dans ses écrits, les allusions favorables et même les prises de position en faveur du gouvernement d'une élite. Il rappelle souvent que toute la politique confucéenne se ramène à un seul problème: la formation de l'aristocratie du savoir et du commandement que, selon lui, constituent les lettrés. Il cite Auguste Comte: "l'espèce humaine est organisée aristocratiquement par la Nature elle-même". Plutôt que d'une monarchie, Quynh semble avoir été partisan d'un gouvernement par une élite, c'est-à-dire une aristocratie.
Jeune, il a cherché la vérité dans les directions les plus variées. Il s'est fait initier à la franc-maçonnerie dans une loge de Hanoï. Il a connu et beaucoup apprécié les lettres françaises. Il a lu Auguste Comte, Barrès, dont la célèbre formule, "la terre et les morts" l'a beaucoup frappé. Puis, il a connu les livres et les articles de Maurras.
Durant des années, il a reçu le Temps et l'Action Française par le même courrier. Entre les deux guerres, il a écrit: "un nationalisme annamite, sage et raisonnable est parfaitement conciliable avec un protectorat français large et libéral". Il est partisan d'une "quasi-indépendance politique de son pays, ayant pour contrepartie une étroite interdépendance économique" - le terme figure dans un de ses articles. En 1932, il devient directeur du cabinet de l'empereur Bao-Dai, puis ministre de l'Education nationale, et enfin, en 1941, ministre de l'Intérieur. Au cours d'un voyage en France, il a affirmé son admiration pour l'oeuvre de Maurras. Mais, en Indochine, il doit se montrer prudent. Parmi les hauts fonctionnaires du protectorat, nombreux sont les radicaux-socialistes, mis en place par Albert Sarrault.
C'est seulement lorsque l'amiral Decoux devient gouverneur général, en 1940, que Pham Quynh révèle la conformité de ses vues, sur bien des points avec celles de Maurras.
Maurras, un confucéen égaré dans l'Occident du XXe siècle?
Homme discret, réservé, il n'a laissé que quelques textes qui permettent de dire avec certitude ce qu'étaient les convictions politiques de son âge mûr. Pham Quynh n'est pas un converti à la doctrine maurrassienne. Il est confucéen, s'affirme comme tel, et constate, à la suite de ses lectures, que Charles Maurras est peut-être, comme on l'a dit, un Athénien égaré au XXe siècle, mais qu'il est surtout "un confucéen qui s'ignore". Il affirme que l'idéal politique du maître de l'Action française est le même que celui des lettrés de l'ancien Annam.
Maurras a sacrifié de légitimes ambitions littéraires pour se consacrer à la défense des valeurs d'ordre national et social qu'il estimait menacées. Il a ainsi rejoint la tradition des grands lettrés viêtnamiens. Autre trait commun avec eux: l'attitude positiviste. Pour les confucéens, le penseur n'est pas le philosophe transcendant. C'est l'homme qui pense en vue de connaître, mais pour agir. Etre confucéen, c'est, avant tout, travailler à dégager des principes ou une méthode de gouvernement. La vérité transcendante, absolue, est du domaine de la foi ou de la méthaphysique. Les confucéens respectent croyants et métaphysiciens. Mais ils se tiennent à quelque distance de la religion et de la métaphysique. Pham Quynh juge donc confucéenne l'attitude positiviste de Maurras. Il note également la priorité donnée par celui-ci à la raison sur les puissances du sentiment. Il condamne les méfaits du "coeur vagabond". Aux yeux d'un confucéen, la pire faiblesse, pour un homme, est constituée par l'amour. Et Pham Quynh de lire à ses auditeurs français et asiatiques un texte de Maurras, peu connu:
"L'amour a trop de violence et de rapidité. Il surprend, saisit et foudroie, on le veut goûter qu'il n'est plus. C'est un enfant, c'est un sauvage. Il est aveugle et cependant perfide. Les malheureux qui s'y confient ne peuvent réfléchir à quel point il manque d'esprit, si ce n'est pour faire souffrir: là, il triomphe. Il vit un jour, et en ce jour il détruit tout ce qu'il rencontre de stable, de solide, de formé par un long effort; le reste de la vie entière ne répare point les dommages qu'il fait en une fois. L'amour est un flambeau qui s'éteint quand il a brûlé tout le bon de notre nature. Il nous appelle hors de nous, et nous tient pendus près des astres, pendant que notre maison croule, ou que notre champ dépérît. Il trouble les familles, séparant l'époux de l'épouse, armant le fils contre le père; il excite, dans les Etats, la sédition et la querelle. Pourtant, il n'est en aucune façon, nécessaire aux hommes. Quiconque fut heureux est mort avant de le connaître..."
Primauté des devoirs sur les sentiments, de la société sur l'individu
Page qui semble à l'occidental étonnante et dure. Mais page très susceptible de faire apprécier ce point de vue de Maurras à des auditeurs ou à des lecteurs de formation confucéenne. En particulier parceque le Viêt-nam est un pays où les structures familiales traditionnelles sont demeurées très fortes; où ce sont les parents qui organisent les mariages.
Ce texte et d'autres conduisent Pham Quynh à relever un autre trait commun à Maurras et aux lettrés confucéens: le refus de l'individualisme, désagrégateur de toutes choses.
Selon les maîtres confucéens, l'individu n'est rien par lui-même. Il ne devient un élément important que s'il est intégré dans un système qui le dépasse et dont il dépend: la famille, la commune, la province, la patrie. L'amour pour eux ne saurait être le ciment des solides assises de la famille et de la société. Ce ciment, il ne saurait être que le sens du devoir. L'homme a des devoirs à l'égard des autres hommes qui constituent avec lui ces groupements ou ces organismes en dehors desquels il n'y a pour lui de vie ou de développement possible. C'est l'ensemble, c'est le faisceau de ces devoirs réciproques qui forme le trafic de la vie sociale. Constatant l'accord de la pensée anti-individualiste de Maurras avec celle des confucéens, Pham Quynh place le maître de Martigues au rang des plus profonds moralistes. En outre, la politique étant considérée par les confucéens comme une partie de la morale, il relève deux autres analogies entre leur pensée et celle de Maurras. Tout d'abord l'amour de l'ordre, l'aversion à l'égard de tout ce qui provoque ou entretient le désordre dans les esprits, les sentiments, les moeurs, le gouvernement de l'Etat. Enfin, l'importance du passé - tradition et culte des morts chez les confucéens - histoire chez Maurras. Quynh note que l'esthétique confucéenne n'est pas une construction abstraite de l'esprit, mais tire son origine des données permanentes de la vie et du caractère humain, fournies par l'étude du passé, et qu'il en est de même du système maurrassien. Pour les confucéens, les données essentielles de la vie sociale sont constituées par la piété filiale et par la fidélité aux autorités. Ils n'affirment pas que leur fondement est la volonté de Dieu (ce mode de pensée leur est complétement étranger) mais l'expérience accumulée par des centaines de générations humaines... Ils affirment ainsi qu'il vaut mieux rechercher la sagesse dans la tradition, dans l'histoire, que dans des spéculations concernant un avenir inconnaissable. Voilà qui ne manque pas de ressemblance avec l'empirisme organisateur.
Pham Quynh, confucianiste ou monarchiste?
Il y aurait, cela va de soi, quelques réserves à formuler. La première, c'est qu'il existe une différence d'une importance capitale entre Maurras et les confucéens. Pour ceux-ci, la politique ne se sépare pas de la morale, alors que pour Maurras, elles se situent sur deux plans différents. D'autre part, le confucianisme postule la bonté fondamentale de l'homme. Il est un optimisme naturaliste, fort éloigné des conceptions réalistes de Maurras. Enfin, le confucianisme de Pham Quynh est-il bien le confucianisme authentique? Ne relèverait-il pas d'une interprétation particulièrement rigoureuse, celle de certains lettrés de l'ancien Annam, celle de Tchou-hi, que d'aucuns estiment hérétique?
Enfin, autre réserve, ou du moins autre question: dans quelle mesure Pham Quynh était-il monarchiste? On ne connaît qu'un seul article de lui où la référence à la monarchie dépasse la simple politesse. Il n'est pas interdit de penser qu'il souhaitait peut-être réduire Bao Dai au rôle de symbole de l'unité nationale. Car fort nombreuses apparaissent, dans ses écrits, les allusions favorables et même les prises de position en faveur du gouvernement d'une élite. Il rappelle souvent que toute la politique confucéenne se ramène à un seul problème: la formation de l'aristocratie du savoir et du commandement que, selon lui, constituent les lettrés. Il cite Auguste Comte: "l'espèce humaine est organisée aristocratiquement par la Nature elle-même". Plutôt que d'une monarchie, Quynh semble avoir été partisan d'un gouvernement par une élite, c'est-à-dire une aristocratie.
-René Pillorget, in Aventures de l'Histoire #12-
1 commentaire:
Merci beaucoup pour l'article
Cuong PHAM PHU de Lognes (77)
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