"La guerre contre le Robespierrisme trouva, au sortir du théâtre de la Cité, une armée rangée en bataille. Cette armée, qui était téméraire pour mieux être brave, appelait les périls, les combats, l'ennemi.
Elle était impatiente de vaincre, fût-ce en ce colletant; elle avait hâte de se sauver de ses remords, de se laver de défaites sans résistances, de se faire oublier son silence et son sommeil pendant les mauvais jours; et elle se jurait vengeance sur le pommeau de ses gourdins.
Dans la brutalité des mœurs révolutionnaires, le bâton devient l'ultima ratio des protestations.
Le bâton n'est pas seulement l'épée, l'arme de défense et d'attaque; il est la mise hors la loi, il est l'ostracisme appliqué au bonnet rouge. Il ne frappe pas seulement au nom d'une cocarde et d'un parti; il proscrit au nom de l'élégance. [...]
Au milieu des carmagnoles, le bâton fraye un chemin aux habits gris, aux cravates vertes; au milieu des têtes tondues, le bâton fraye un chemin aux cadenettes poudrées; au milieu des pantalons crottés, le bâton fraye un chemin au culottes tendues, aux bas blancs, aux jarretières flottantes.
Ceux qui portent ces bâtons, ce sont les muscadins, la jeunesse dorée de Fréron, comme on dit encore, les voilà dévoués, cœurs et poignets, au pouvoir quelconque qui refera de la France le pays des jeunes gens et des jeunes choses, le pays des mœurs légères, des gaies compagnies, des récréations permises, des habits dont on parle, des femmes dont on cause, des bals qui font émeute, et des amours qui font scandale. [...] Ils n'ont qu'un cri de guerre: la mort aux Jacobins, les gémonies aux institutions de Saint-Just!
Les jeunes gens ont pour alliées naturelles les femmes. Les femmes, dont l'opinion est faite d'attendrissement, et dont le parti ordinaire est le parti de la charité, étaient passées de bonne heure aux persécutés, lorsque les persécutés n'étaient que des victimes, et n'étaient pas encore une majorité. Ainsi, la guerre commence par des victoires. Les femmes séduisent les cœurs. Les spectacles, les acteurs enflamment les imaginations. Les bâtons de la jeunesse entament le dos des Jacobins."
- Histoire de la Société Française pendant le Directoire, Académie Goncourt -
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