26.2.07

De l'origine de l'expression "jeunesse dorée"


L'expression jeunesse dorée est née en même temps que d'autres, aujourd'hui oubliées, dans les luttes socio-politiques qui ont suivi à Paris la chute de Robespierre. Il ne fut quelque temps question que des muscadins, ces jeunes bourgeois qui avaient réussi à échapper aux réquisitions et se reconnaissaient à travers une mode "d'élégance baroque" en réaction à la terreur. Au delà de la référence historique, jeunesse dorée s'utilise encore de nos jours pour désigner la jeunesse oisive et noctambule des beaux quartiers, les dandys des plaisirs fiévreux des grandes villes, avec lesquels on accède assez vite "aux délices vantées de l'ennui supérieur" (J. Gracq). Cet emploi pour qualifier un phénomène social au demeurant anodin témoigne de "l'éclipse du sens" d'une expression née des luttes révolutionnaires.

Jeunesse dorée a émergé en l'an III, parallèlement à d'autres expressions, dans la bataille de mots et de signes que se livrent à Paris, et dans la presse, partisans et adversaires du nouveau cours politique et, de façon plus concrète dans les lieux publics, sans-culottes et muscadins. C'était le mot utilisé par ses adversaires pour désigner la troupe de Fréron, le bras armé de la dé-sansculottisation. Si le phénomène est alors parisien, le mot était venu de province: dès février 1793, ce sobriquet oublié était donné aux jeunes gens à Lyon, sans doute pour leur manière de se parfumer, et c'est dans l'été qu'il se répand à Paris; il devient à la mode et les chansonniers s'en emparent. Quand la terreur est mise à l'ordre du jour, il prend dans le discours politique une valeur très péjorative. Un passage du rapport de Barère sur la formation de l'armée révolutionnaire, le 5 septembre, montre le mépris extrême qu'il inspire: "Hier, un homme connu par son patriotisme [...] entendit six jeunes gens, je dirai plutôt des muscadins, ce nom qu'une jeunesse orgueilleuse s'est fait donner, et qui attestera à la postérité qu'il a existé en France, au milieu de sa révolution, des jeunes gens "sans courage et sans patrie." [ndcm: les muscadins, premiers citoyens du monde?]

Le contexte historique dans lequel est née l'expression jeunesse dorée n'est pas moins passionné et donne lieu à des inventions néologiques, à des locutions qui surgissent spontanément dans les luttes politiques violentes qui mènent à la défaite des sans-culottes. Celle du million doré, qui est moins connue et l'a précédé de quelques mois, est symbolique de la rupture socio-politique de l'an III; elle se construit à la croisée de plusieurs niveaux de discours, à l'assemblée, dans la presse et dans le peuple des groupes. Le trajet discursif du million et des locutions qui naissent sur le même registre montre que, comme c'est souvent le cas dans le discours politique, c'est le contexte dans lequel on prononce un terme ou une expression qui lui confère toute sa valeur.

La guerre de mots est partie d'une phrase prononcée dans les derniers jours de l'an II à la Convention par Dubois-Crancé, et qui fut dénoncée comme contraire au principe de l'égalité. C'était l'expression brutale de l'antagonisme qui va s'affirmer dans les mois suivants autour du couple liberté/égalité, entre ceux qui associent les deux principes et ceux qui voient dans le culte de l'égalité un danger pour la liberté. Dénonçant la terreur comme le principal obstacle au rétablissement de la confiance, Dubois-Crancé s'élevait contre un régime qui violait "la sûreté des personnes et des propriétés": "Ce n'étaient plus les aristocrates que l'on poursuivait, c'étaient tous les riches, tous ceux dont la fortune met en activité les talents et l'industrie du peuple /.../ Une simple réflexion va vous faire sonder la profondeur de l'abîme: la fortune d'un million d'hommes en France nourrit l'industrie de 25 autres; anéantissez les ressources de ce million d'hommes, et la contre-révolution est faite".

- Raymonde Monnier -

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